Match Chine / Etats-Unis :
ce que va changer la crise provoquée par le coronavirus COVID-19
Alors qu’en début d’année la « Phase 1 » de l’accord commercial entre la Chine et les Etats‑Unis semblait devoir accorder un répit aux échanges internationaux, la pandémie de coronavirus COVID‑19 est venue troubler la trêve. Loin d’amoindrir les ambitions hégémoniques de ces deux puissances, la pandémie apparaît de plus en plus comme la nouvelle toile de fond de la lutte qui les oppose. La Chine, qui est devenue le premier pays exportateur au niveau global (en représentant plus d’un dixième des exportations mondiales), reste considérée comme une menace pour les représentants politiques américains qui associent souvent l’économie aux enjeux de sécurité nationale. Quels peuvent alors être les changements apportés par la crise pandémique du coronavirus COVID‑19 dans les relations des deux superpuissances ?
Avant la crise sanitaire et son évolution en pandémie, la Chine et les Etats-Unis avaient signé le 15 janvier 2020 la première phase d’un accord commercial, tout en s’engageant à poursuivre les négociations afin de s’orienter vers sa deuxième phase. Pour rappel, la Phase 1 de l’accord portait principalement sur le respect de la propriété intellectuelle et l’arrêt des transferts technologiques forcés. La Chine s’engageait de surcroît à augmenter ses importations en provenance des Etats‑Unis d’environ 200 milliards de dollars sur deux ans (au minimum, 76,7 milliards en 2020 et 123,3milliards en 2021). L’idée sous-jacente étant alors de rétablir dans une certaine mesure la balance commerciale des Etats‑Unis. En contrepartie, les Etats‑Unis s’engageaient à lever une partie des sanctions économiques adoptées contre la Chine et traduites en pratique par l’augmentation des tarifs douaniers sur les produits chinois. Mais cet accord, relativement léonin, n’a pas fait illusion longtemps. Il n’a pas non plus, comme en témoigne la crise sanitaire du COVID‑19, mis fin aux tensions.
La crise sanitaire apparue en Chine est ainsi devenue la cause d’une nouvelle dégradation des relations sino-américaines. Plusieurs éléments ont concouru à cette dégradation : tout d’abord, la critique par les représentants politiques américains de la gestion de la crise par les autorités chinoises, en pointant notamment une réaction tardive (le confinement a été effectif le 23 janvier à Wuhan, l’épicentre de l’épidémie) et un manque de transparence. Puis sont venues les accusations de complot : chacune des deux parties accusant l’autre d’être à l’origine de l’introduction du virus. Enfin, les aspects diplomatiques (le rappel des ressortissants et l’expulsion des journalistes) ont également participé à la dégradation des relations. Et ces nouvelles tensions remettent sérieusement en cause le bon déroulement de l’accord commercial sino-américain, en plus de créer de nouvelles dynamiques dans les relations économiques internationales.
Qu’est-ce qui pourrait entraver la réalisation de l’accord Phase 1 ? Les Etats‑Unis, en bloquant l’exportation vers la Chine de produits de haute technologie rendra l’engagement de celle-ci (l’augmentation de ses importations en provenance des Etats‑Unis d’environ 76,7 milliards de dollars en 2020), difficilement tenable. Du point de vue chinois, cette décision est d’autant plus dissuasive que, d’une part le montant total décidé de 200 milliards de dollars est très élevé, et que, d’autre part, l’un des principaux enjeux (sinon le principal) de la lutte que se livrent les deux superpuissances, est précisément technologique. La remise en cause de la Phase 1 n’est donc pas seulement pratique, elle touche aussi à ses fondements (c’est-à-dire le transfert technique de coopération, « voulu » ou « non forcé »).
Plus globalement, la pandémie devrait renforcer le remodelage des chaînes de valeur mondiales initié au cours de la guerre commercial entre la Chine et les Etats‑Unis. Le secteur pharmaceutique sera a priori le premier concerné car les Etats ne voudront prendre le risque d’être dépendants de l’approvisionnement chinois en ce qui concerne les médicaments (60 % de la production mondiale de paracétamol qui, à l’inverse de l’ibuprofène, est indiqué en cas de coronavirus, est chinoise), les masques (ironie du sort, la plupart des masques sont fabriqués en Chine par la société américaine 3M) ou les appareils médicaux. En effet, à l’issue de la pandémie, les populations vont certainement être demandeuses de davantage de souveraineté économique et médicale. Mais attention, la relocalisation entraînera nécessairement des prix plus élevé. D’où un risque de retour à l’inflation que les politiques publiques devront anticiper pour que le remède ne soit pas pire que le mal lui-même en ce qui concerne son impact économique…
Finalement, la crise sanitaire globale du coronavirus COVID‑19 s’inscrit à la fois dans une continuité, dans la mesure où elle exacerbe des dissensions déjà observées lors de la guerre commerciale sino-américaine, et elle marque une rupture en introduisant de nouvelles dynamiques. En effet, alors même que le virus est parti de Chine, l’Empire du Milieu a tenté d’ériger le masque médical en instrument géostratégique et a même proposé son aide à l’international. Dans le même temps, les Etats-Unis semblent incapables de sortir la tête de l’eau à court terme… Or, si les décideurs politiques américains se montrent inefficaces dans leur gestion de la crise, ceux-ci pourraient être tentés d’orienter le mécontentement vers l’adversaire extérieur qui menace leur hégémonie : la Chine. C’est en tout cas ce que laissent penser les provocations quotidiennes adressées à la Chine par les Etats‑Unis.
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